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Thierry GAUDIN
 
 

 

"La prospective est un préliminaire de l’action. Ce n’est pas une science. Chaque scientifique approfondit un domaine de connaissance particulier. La prospective revendique le droit à la synthèse, et en même temps le droit à l’erreur. Il n’y a pas une prospective économique d’un côté et une prospective écologique d’un autre. Il y a une prospective générale, que l’on peut décliner dans ses aspects économiques et écologiques, selon des vues particulières. La prospective recueille, compare, critique ce que disent les spécialistes. Elle s’autorise l’audace d’établir, à partir de leurs constats, un tableau cohérent, en vue de dire une histoire du futur. Sans doute, cette histoire n’est pas la seule possible, mais elle existe. C’est un récit racontable, quelque chose qui a un sens, alors que la juxtaposition de discours de spécialistes n’en a pas.

La certitude n’est pas la compagne du prospectiviste. Mais le doute n’est pas une raison suffisante pour s’interdire de prendre la parole, surtout s’il s’agit d’enjeux vitaux. Comme la psychanalyse, la prospective est un travail technique sur l’imaginaire. En le précisant, elle contribue à créer l’avenir. Elle explore des scénarios, tâtonne dans le brouillard, essaie des instruments de mesure nouveaux, refuse les lieux communs de son époque. Mais elle ne devient elle même qu’en restituant du sens là ou il n’y en avait pas, en imaginant des cohérences possibles au delà des tableaux chaotiques. C’est la descendante des devins, à cela près qu’elle tolère et même recherche la controverse. Ce n’est pas pour autant l’art de se mettre d’accord sur des vœux. Penser l’avenir ce n’est pas choisir le tableau le plus confortable (le "wishful thinking" anglo-saxon), au risque de se complaire dans l’irréalité. C’est au contraire un acte de courage intellectuel, qui soupèse avec égalité d’âme les chances respectives du meilleur et du pire."

Source : 2100, Odyssée de l’Espèce. Paris : Editions Payot, 1993, 293 pages.