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1. Définition et origine de la Hallyu

Le concept « Hallyu » (한류), fait référence à la vague culturelle sud-coréenne à l’étranger, dans des domaines tels que la musique, les séries télévisées, les films, la mode et la cuisine. Il est composé du mot « hal () » signifiant « la Corée » et du mot « lyu () », équivalent à « vague » en chinois.

Le terme utilisé par le Ministère coréen de la Culture, des Sports et du Tourisme est le « Hanryu »[1]. Cependant, il est communément admis que le terme « Hallyu » trouve son origine dans une émission de radio appelée « Seoul Music Room »[2] en 1997, en réaction à la nouvelle popularité de la culture pop et des vedettes coréennes en Chine.

Pour les Chinois, le terme Hallyu a deux significations : (1) « hanliu 韓流 » pour signifier la vague/courant coréen (culturel), (2) « hanliu 寒流 » une vague froide.

L’approche coréenne, axée sur la promotion du star-système de la Corée du Sud et liée à une « fan culture » très dynamique, s’est révélée particulièrement novatrice aux années 1990. La Hallyu a émergé comme un mouvement influent, contribuant ainsi à la mondialisation culturelle et à l’échange entre l’Est et l’Ouest.

2. Historicité du concept : la culture coréenne

Durant l’ère prémoderne, la culture coréenne avait été influencée significativement par la culture chinoise, s’inspirant notamment de la langue, de la philosophie confucéenne[3], de la calligraphie, de l’art et d’autres aspects de la culture traditionnelle chinoise.

A l’époque moderne, la Corée a connu des changements profonds, sous l’emprise de la colonisation japonaise (de 1910 à 1945), qui a eu un impact significatif sur la société coréenne, sa langue et sa culture[4]. Cette domination a engendré une répression culturelle et une interdiction de la langue nationale, provoquant ainsi un sentiment de résistance culturelle.

Après la Seconde Guerre mondiale et la libération de la Corée en 1945, la Péninsule a été le théâtre de trajectoires culturelles divergentes entre la Corée du Sud et la Corée du Nord[5]. Les deux Corées ont été influencées différemment par leurs systèmes politiques, idéologiques et alliances internationales.

Suite à la guerre de la Corée (1950-1953), sous l’égide de Park Chung-hee qui devint Président d’une IIIème République de 1963 à 1972, la reconstruction de la Corée du Sud a été focalisée sur l’industrialisation, reléguant ainsi les industries du divertissement à l’arrière-plan et les soumettant à une forte censure sous le régime autoritaire.

Après l’assassinat de Park Chung-hee, Chun Doo-hwan prit le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire en 1979. Sous le règne de ce dernier, la politique culturelle a commencé à adopter une approche consumériste, portant le surnom de « 3S », pour screen (cinéma et télévision), sexe et sports[6]

La transition vers la démocratie, au mandat de Roh Tae-woo (1988-1993), a permis l’émergence d’une culture plus diversifiée et dynamique, avec une expression artistique et culturelle plus variée, notamment, à travers l’organisation des Jeux de la XXIVème olympiade de l’ère moderne à Séoul. Dans les années 1990, la libération des médias[7] dans de nombreux pays asiatiques a créé un environnement ayant favorisé les échanges culturels de produits médiatiques.

Entre 1998 et 2003, l’ère de Kim Dae-jung en Corée du Sud a été une période de transformation culturelle significative. Avec la déclaration conjointe de Kim Dae et jung-Obuchi (Chef d’Etat japonais) en 1998[8], qui incluait l’ouverture de la culture pop japonaise[9], la culture coréenne a commencé à être considérée comme une “industrie du contenu“ et plusieurs actions ont été entreprises pour promouvoir et développer l’industrie culturelle sud-coréenne.

Pour sortir de la crise financière de 1997, le gouvernement sud-coréen a ciblé l’exportation de la culture populaire[10], en soutenant les industries culturelles coréennes, en tant que nouveau secteur économique. L’objectif était de retrouver une excellence perdue dans la compétition culturelle mondiale, de métamorphoser l’image de la Corée de Sud, de contrer l’influence culturelle prédominante des Etats-Unis sur le marché intérieur et de rivaliser avec la prééminence régionale du Japon[11].

Depuis les années 2000, la vague de culture populaire sud-coréenne a submergé l’ensemble des pays d’Asie du Sud-Est et bien au-delà : le Japon, Taiwan, la Chine, les Etats-Unis, l’Europe et l’Amérique latine. Elle s’est propagée également dans le monde arabe à partir des années 2005 [12]. La montée en puissance du numérique a participé davantage à la promotion à l’international de cette nouvelle image de la Corée du Sud.

En somme, la culture coréenne a absorbé d’abord l’influence culturelle chinoise à l’époque prémoderne puis la culture occidentale et japonaise à l’époque moderne. Cependant, durant la période postmoderne, la Corée du Sud a réussi à créer une identité culturelle unique et influente dans la scène mondiale, marquant ainsi le début de la Hallyu.

3. De la Hallyu 1.0 à la Hallyu 4.0

La Hallyu a débuté à la fin des années 1990 par l’exportation de K-dramas, pionniers de la vague coréenne. Cependant, elle a progressé et traversé différentes phases de maturité par la suite :

  • La transition vers la Hallyu 2.0, centrée sur la musique K-pop, s’est produite lorsque la musique pop coréenne a commencé à devenir “mainstream“, gagnant en popularité à l’échelle mondiale et attirant une base de fans internationale grâce au web 2.0, stimulée par les réseaux sociaux et le Smartphone.
  • La Hallyu 3.0, qui a vu l’essor de la K-culture dans les années 2010, concerne divers aspects traditionnels de la culture coréenne, tels que la mode, la cuisine, le cinéma et les arts.
  • La Hallyu 4.0, également connue sous le nom de K-style, a émergé avec la mondialisation de la mode coréenne, des produits de beauté et des tendances de style de vie, marquant ainsi une nouvelle phase de l’influence culturelle coréenne à l’échelle internationale.

4. Pertinence du concept : la Hallyu en tant qu'outil de soft power

A la lumière de son impact mondial croissant sur l’économie, la culture, la santé et les sociétés de manière générale, la pertinence de la Hallyu réside dans sa capacité à stimuler la croissance économique et à transcender les frontières géographiques tout en conservant une identité culturelle coréenne. La popularité de cette vague s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs clés.

Analyse des facteurs clés du succès de la Hallyu

  • L’augmentation de la compétitivité des industries culturelles coréennes, qui découle d’investissements massifs dans la production et la promotion de contenus de qualité en mettant l’accent sur la créativité et l’innovation ;
  • L’acceptation et la diffusion de la culture coréenne dans les pays de l’Asie de l’Est, concrétisant ainsi des changements politico-économiques au niveau des relations entre ces pays, notamment la Chine, le Japon et Taiwan ;
  • L’investissement important des entrepreneurs de spectacles dans des projets artistiques ambitieux ;
  • Les initiatives gouvernementales de subvention, des incitations fiscales et des politiques de promotion de la culture qui ont soutenu indirectement les entreprises culturelles ;
  • L’essor des nouvelles technologies et des médias sociaux qui ont facilité la diffusion rapide de la culture coréenne à travers le monde ;

En effet, selon la Fondation coréenne KF [13], qui collecte des informations relatives à la Hallyu dans 109 pays à travers le monde, la vague coréenne est en constante expansion géographique et culturelle. Le nombre de fans de la Hallyu dans le monde a été multiplié par environ 19, passant de 9,26 millions en 2012 à 178 millions en 2022. De plus, entre 2004 et 2013, les exportations de biens et services culturels coréens ont augmenté de 250% selon l’UNESCO[14].

La Hallyu : une glocalisation de la culture

La glocalisation de la Hallyu se manifeste par l’adaptation des contenus culturels coréens pour répondre aux besoins et aux préférences des publics locaux à l’étranger par le doublage et le sous titrage des produits culturels en différentes langues.

Cette stratégie de glocalisation prend en compte les sensibilités culturelles spécifiques de chaque marché. En conséquence, la Hallyu peut intégrer des éléments culturels locaux dans ses productions afin d’attirer un public international plus large. Par exemple, elle peut inclure des lieux emblématiques ou des traditions locales. De cette manière, la glocalisation permet à la vague coréenne de conquérir de nouveaux marchés internationaux en adaptant son contenu aux préférences locales.

5. Le Maroc et la pertinence du concept : la quête du soft power

Tout en avançant vers la modernité, le Maroc valorise plusieurs éléments de son identité culturelle. A titre d’illustration, en janvier 2024, le nouvel an amazigh a été célébré pour la première fois comme jour férié officiel au Maroc. Cette célébration est un symbole de l’unité nationale et de la diversité culturelle du Royaume.

Par ailleurs, l’année 2022 a vu se dérouler la Coupe du monde de football au Qatar, une compétition au cours de laquelle l’équipe nationale marocaine a brillamment performé, obtenant un résultat historique en atteignant la demi-finale. Bien que ce succès sportif ait contribué significativement à accroitre la visibilité et la reconnaissance internationale du Maroc, il n’est qu’un élément parmi d’autres dans la construction de sa réputation globale[15].

Par conséquent, pour renforcer sa réputation sur la scène mondiale, consolider son Soft Power et exploiter pleinement le potentiel économique de sa culture, le Maroc gagnerait à mettre en œuvre une véritable stratégie d’industrialisation de la culture, génératrice d’emploi, qui cadre toutes les initiatives entamées[16].

Dans cette perspective, le Royaume pourrait s’inspirer du modèle sud-coréen pour développer amplement ses propres industries créatives (musique, cinéma, théâtre, télévision, mode et gastronomie), en capitalisant sur l’intérêt de la jeunesse marocaine, plus particulièrement la génération Z, pour les productions artistiques coréennes.

Enfin, l’ouverture sur la Hallyu peut offrir à la jeune génération de nouvelles perspectives culturelles, artistiques et professionnelles. Cependant, il est également important de veiller au maintien d’un équilibre entre l’appréciation de la culture étrangère et la préservation et le renforcement de l’identité culturelle marocaine.

Références

[1] KIM, Ju Young. Rethinking media flow under globalisation: rising Korean wave and Korean TV and film policy since 1980s. 2007. Thèse de doctorat. University of Warwick.

[2] CHAE, Heeju, PARK, Joo Hee, et KO, Eunju. The effect of attributes of Korean trendy drama on consumer attitude, national image, and consumer acceptance intention for sustainable Hallyu culture. Journal of Global Fashion Marketing, 2020, vol. 11, no 1, p. 18-36.

[3] Relative à Confucius, un philosophe chinois du 6ème siècle avant J-C, dont la doctrine s’articule autour de six vertus principales, à savoir la bonté, la droiture, la bienséance, la sagesse, la loyauté, le respect des parents et celui de la vie et de la mort.

[4] BOK-RAE, Kim. Past, present and future of Hallyu (Korean Wave). American International Journal of Contemporary Research, 2015, vol. 5, no 5, p. 154-160.

[5] CUMIN David, « Retour sur la guerre de Corée », Hérodote, 2011/2 (n° 141), p. 47-56.

[6] DAYEZ-BURGEON Pascal, « « Là-bas, sans bruit, tombe un pétale » », dans :  Histoire de la Corée. Des origines à nos jours, sous la direction de DAYEZ-BURGEON Pascal. Paris, Tallandier, « Hors collection », 2012, p. 241-246.

[7] BOULANGER, Philippe. Les grandes aires de développement des médias dans le monde depuis le XVe siècle. Revue de géographie historique, 2015, no 6-7.

[8] 문화를 산업으로 본 첫 대통령…DJ, ‘한류’ 기반을 놓다 (hani.co.kr)

[9] MOFA: Japan-Republic of Korea Joint Declaration A New Japan-Republic of Korea Partnership towards the Twenty-first Century, 8 October 1998, (consulted le 18 January 2024).

[10] KIM, Youna. The rising East Asian ‘wave’. Media on the Move, 2007, p. 121.

[11] CICCHELLI Vincenzo, OCTOBRE Sylvie, « La Hallyu ou comment apprendre des petites choses : une éducation au cosmopolitisme par le bas », Éducation et sociétés, 2019/2 (n° 44), p. 131-148. DOI : 10.3917/es.044.0131.

[12] MALIK, Saadia Izzeldin. The Korean wave (Hallyu) and its cultural translation by fans in Qatar. International Journal of Communication, 2019, vol. 13, p. 18. 

[13] https://issuu.com/the_korea_foundation/docs/2022_analysis_of_global_hallyu_status/7

[14] UNESCO Institute for Statistics 2016 The globalization of cultural trade: a shift in consumption.

[15] Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES). La réputation du Maroc dans le monde en 2023

[16] Citant la politique des musées, la politique du développement des festivals, l’enregistrement du patrimoine immatériel et matériel à l’UNESCO…