1. Définition
L’étymologie du terme “illectronisme’’ découle de la fusion des mots “illettrisme et électronique“. Ce concept désigne une nouvelle forme électronique et numérique de l’illettrisme[1]. En général, il se réfère à “l’état d’une personne qui ne maitrise pas les compétences nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources numériques“[2]. Cela englobe diverses compétences telles que la navigation sur internet, l’envoi d’emails ou l’utilisation des services administratifs, …
L’illectronisme peut concerner des individus de tous niveaux d’instruction, y compris ceux qui savent lire et écrire. Ce concept renvoie à l’absence ou au manque de littératie numérique (digital literacy), i.e. l’incapacité d’un individu à participer à une société qui utilise les technologies de communication numérique dans tous ses domaines d’activité.
2. Origine et historicité du concept : la littératie numérique comme rempart contre l’illectronisme
L’illectronisme, concept relativement récent, émerge en parallèle avec l’omniprésence croissante de la technologie numérique dans la société. A l’opposé, la littératie numérique, également appelée “digital literacy/literacies“ en anglais, renvoie à la capacité de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de créer de manière critique des informations issues d’une variété de sources numériques.
La littératie numérique est devenue essentielle à mesure que la technologie numérique a pris une place prépondérante dans la vie quotidienne. Que ce soit dans le domaine de l’éducation, du travail, des communications, de l’accès à l’information ou des services en ligne, la compétence à naviguer et à comprendre le monde numérique est devenue un atout majeur.
Dès lors, le concept de la littératie numérique s’est vu attribuer diverses perspectives, allant du savoir-faire technique aux compétences cognitives, en passant par les pratiques sociales et l’engagement proactif avec le contenu numérique.
- Savoir-faire technique : “computer literacy“
L’initiation à la littératie numérique, envisagée comme une discipline académique, a vu le jour dans le monde aux alentours de 1965 dans des établissements d’enseignement supérieur prestigieux [3]. Par la suite, vers 1970, cette discipline a été intégrée dans les cursus des lycées, en mettant l’accent sur l’appréhension des attributs, les potentialités et les usages de l’ordinateur et l’utilisation des applications informatiques.
- Compétences cognitives : “Information Literacy“
Le concept de la littératie informationnelle a émergé durant les décennies 80 et 90. Il renvoie à la capacité de l’individu à traiter de manière critique l’information numérique et à appréhender les implications de son utilisation. Cette compétence cognitive concerne la recherche et l’évaluation critique de l’information en ligne, l’analyse de données numériques, la résolution de problèmes technologiques ainsi que la compréhension des concepts et des principes sous-jacents à la technologie[4].
- Littératie en réseau : “Network Literacy“
A partir des années 1994, McClure a créé le terme “la littératie en réseau”[5] . Ce concept porte sur la prise de conscience des ressources en réseau, sur la compréhension de leur utilisation pour résoudre des problèmes et sur la maitrise du système par lequel l’information en réseau est générée et gérée.
La “littératie en réseau” a contribué au développement de l’idée d’apprentissage tout au long de la vie (Lifelong Learning)[6], dans l’optique de permettre aux individus de naviguer efficacement dans les systèmes en réseau et de collaborer avec d’autres personnes.
- Engagement proactif avec le contenu numérique : “Digital literacy / le E-litteracy“
En 1997, sous l’impulsion de Gilster[7], le concept “littératie numérique” renvoie aux compétences essentielles à l’utilisation de la technologie, tout en allant au-delà de la programmation ou du développement de systèmes informatiques. La littératie numérique devrait permettre à chacun de comprendre et d’exploiter le numérique dans sa vie quotidienne, à domicile, au travail et au sein de la société, dans le but d’atteindre des objectifs personnels et d’étendre ses capacités cognitives.
3. L’intérêt du concept de l’illectronisme
L’illectronisme pourrait être un facteur de disparité sociale dans le monde et d’exacerbation des inégalités en accentuant le fossé de revenus entre les Nations. Il représente, ainsi, un défi de taille pour l’égalité des chances et la cohésion sociale. C’est la raison pour laquelle, il est impératif de promouvoir, à l’échelle internationale, l’apprentissage tout au long de la vie (life long learning) dans les différents domaines du numérique afin de permettre à chacun de développer des compétences digitales nécessaires pour naviguer avec succès et avec prudence dans un monde de plus en plus virtuel.
4. La pertinence du concept pour le Maroc
Conscient de l’importance du numérique comme levier de croissance économique et de transformation technologique, le Maroc a mis en œuvre les premières stratégies nationales dans ce domaine et mis en place, en 2009, la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel et en 2011, la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information, rattachée à l’Administration de la Défense Nationale.
Il a élaboré, en 2012, la stratégie nationale de cybersécurité, démarré la même année le plan national pour étendre l’accès à Internet à toute la population, créé, en 2017, l’Agence de Développement du Digital, entrepris, à partir de 2021, la construction de centres de données de pointe et organisé, en 2023 et 2024, deux éditions GITEX Africa, le plus grand Salon des technologies numériques et des start-ups digitales en Afrique. Une nouvelle stratégie digitale 2030 est en cours de finalisation, reposant sur trois axes majeurs, à savoir : la gouvernance numérique, la digitalisation des services publics et la promotion d’une économie numérique à forte valeur ajoutée[8].
Fort de ces acquis, le Royaume gagnerait à évaluer le niveau de littératie numérique de sa population et à identifier les obstacles à l’acquisition des compétences numériques, tout en appréciant et en évaluant l’étendue d’accès des citoyens marocains aux technologies numériques. La littératie numérique est nécessaire afin de permettre au citoyen de s’adapter au chantier de la transformation digitale, en cours au Maroc, des services publics et privés.
A cet effet, il serait opportun de promouvoir l’éducation numérique à tous les niveaux de la société. En particulier, il serait judicieux d’incorporer, dès le préscolaire, des programmes de littératie numérique, tout en mettant en exergue les opportunités et les dangers inhérents aux utilisations numériques. De même, il faudrait favoriser l’apprentissage tout au long de la vie dans les domaines du numérique au sein des administrations, des entreprises, … ; les compétences numériques étant considérées essentielles pour permettre à la jeune génération de rester compétitive dans un contexte mondial marqué par la prolifération de mutations technologiques.
[1] ” Une situation qui concerne des personnes qui ont été scolarisées en langue française et qui, arrivées à l’âge adulte, ne parviennent pas pour autant à être autonomes avec l’écriture, la lecture, avec les outils numériques dans des situations simples de la vie quotidienne.” Agence Nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI)
[2] Entrée dans le dictionnaire “Larousse“ en 2020. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illectronisme/188290
[3] KURSHAN Barbara, Computer literacy. Is it for Everyone? 1986; Paper presented at the World Congress on Education and Technology (Vancouver, British Columbia, Canada, June 1986). PUB TYPE Information Analyses (070) Viewpoints (120) Speeches /Conference Papers (150) https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED290429.pdf
[4] Information Literacy | UNESCO
[5] MCCLURE, Charles R. Network literacy: A role for libraries?. Information Technology and libraries, 1994, vol. 13, no 2, p. 115. Copyright American Library Association Jun 1994
[6] Un concept qui reconnaît que l’éducation ne se limite pas à l’enfance et à l’adolescence. Au contraire, l’apprentissage est un processus continu qui se poursuit tout au long de notre vie.
[7] Gilster, P. (1997). Digital literacy. New York: John Wiley.
[8] Communication de M. Mohammed Tawfik MOULINE, La transformation digitale éthique en tant que levier de changement au service d’un développement inclusif, Crans Montana Forum, 36ème session annuelle, 28 juin 2024, Bruxelles.