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Solastalgie

1. Définition du concept

La solastalgie est un concept qui décrit la peine et la détresse psychologiques ressenties par un individu suite à sa prise de conscience des dégradations de l’environnement naturel et du climat qui l’entourent. Elle se manifeste par une profonde inquiétude et un sentiment de perte, une sorte de deuil de la nature, face à la dégradation des paysages, des écosystèmes et des conditions climatiques.

Il convient de souligner que ce concept est différent, quoique souvent confondu, avec l’éco-anxiété : le premier se vit dans l’immédiat, causé par l’état actuel de l’environnement, tandis que le second se ressent par anticipation de la dégradation environnementale, comme une appréhension profonde de l’avenir naturel de la planète dans sa globalité[1].

2. Origine et historicité du concept

Le terme « solastalgie » a été introduit par le philosophe et écologiste australien Glenn ALBRECHT, en mai 2003, lors d’un Forum sur l’éco-santé, qui s’est tenue à Montréal, au Canada. Etymologiquement, il est composé du mot latin « sōlācium », qui signifie confort ou soulagement – le bien-être et l’apaisement ressenti généralement dans un environnement familier et rassurant – et du suffixe grec « -algia », qui renvoie à la douleur et à la souffrance, qu’elle soit physique ou morale[2].

Pour conceptualiser la solastalgie, Dr. ALBRECHT s’est basé sur deux expériences de dégradation de l’environnement en Australie, à savoir la sécheresse persistante dans la Nouvelle-Galles du Sud -Etat du sud-est de l’Australie-et l’exploitation minière de charbon à ciel ouvert dans la haute vallée de ce même Etat. Dans les deux cas, les personnes exposées au changement environnemental ont pâti d’un impact psychologique négatif, exacerbé par un sentiment d’impuissance et de manque de contrôle sur les modifications de leur habitat.

Par la suite et en 2005, le philosophe australien a officiellement introduit la solastalgie à la communauté scientifique dans son article « ‘Solastalgia’: a new concept in health and identity« [3] où il démontre, notamment, que ce nouveau terme est inspiré de la notion de la nostalgie.

En effet, alors que la nostalgie, décrit le mal du pays ressenti suite à l’éloignement de chez soi, la solastalgie est le mal du pays éprouvé en étant encore chez soi, mais que son environnement est en train de changer de manière négative.

Il explique, dans son article : « Les personnes qui me préoccupaient étaient encore ‘chez elles’, mais ressentaient une mélancolie similaire à celle provoquée par la nostalgie liée à la rupture de la relation normale entre leur identité psychique et leur maison. Ce qui manquait à ces personnes, c’était le réconfort ou la consolation que leur procurait leur relation actuelle avec leur ‘chez-soi’. En outre, elles ressentaient un profond sentiment d’isolement du fait de leur incapacité à s’exprimer de manière significative et à influer sur l’état des choses qui était à l’origine de leur détresse. La ‘solastalgie’ a été créée pour décrire la forme spécifique de mélancolie liée au manque de réconfort et à la désolation intense. »

Les articles scientifiques traitant de ce concept restent, à ce jour, peu nombreux. L’année 2018 a connu la publication d’un plus grand nombre d’articles à ce sujet, ce qui suggère un intérêt croissant pour la solastalgie depuis le début des années 2000[4]. Toutefois, les chercheurs considèrent que le sentiment de solastalgie est amené à se répandre du fait des changements climatiques, de la perte massive de biodiversité.

3. Intérêt et principaux champs d'application

La solastalgie gagne de l’importance dans divers domaines et dans différentes disciplines. En effet, l’utilisation du concept n’est pas confinée à une discipline spécifique. La littérature sur la solastalgie couvre un large éventail de disciplines académiques, y compris la santé publique, la géographie humaine, l’anthropologie et la philosophie.

Dans les sciences sociales et humaines, ce concept permet de comprendre comment les communautés réagissent émotionnellement et culturellement face aux transformations environnementales. De plus, la solastalgie peut devenir un catalyseur pour surmonter l’immobilisme, que ce soit collectivement ou individuellement. 

Dans le domaine de la santé, par exemple, les professionnels reconnaissent de plus en plus l’impact des changements environnementaux sur le bien-être mental. La solastalgie peut entraîner des troubles de l’humeur, de l’anxiété et un sentiment de désespoir[5].

Laure NOUALHAT, autrice de l’ouvrage « Comment rester écolo sans finir dépressif » , affirme que « chacun doit traverser les étapes du deuil de notre planète –choc, déni, dépression, acceptation– avant de pouvoir surmonter cette épreuve et espérer « revenir à la vie » »[6].

La prise en considération de la solastalgie dans les politiques de développement durable s’avère nécessaire. En effet, aménager des espaces verts et en plein air pour l’exercice physique, prévoir des lieux pour encourager les interactions sociales positives pourraient, éventuellement, contribuer à améliorer la santé mentale[7].

L’éducation joue, également, un rôle crucial, à travers la sensibilisation du public à la solastalgie, ce qui favoriserait une plus grande prise de conscience et encouragerait l’entreprise d’initiatives pour limiter les effets néfastes de l’action anthropique[8] et préserver, par conséquent, l’environnement.

4. Intérêt du concept de la solastalgie pour le Maroc

Le concept de solastalgie revêt une importance particulière pour le Maroc, en raison de la vulnérabilité du Royaume face aux effets du changement climatique, tels que la désertification, la raréfaction des ressources en eau et les phénomènes météorologiques extrêmes. La solastalgie peut ainsi constituer un indicateur pertinent des répercussions psychologiques engendrées par ces bouleversements ainsi que des modifications humaines de l’environnement sur les populations locales.

En prenant conscience et en reconnaissant le concept de la solastalgie, le Maroc serait en mesure de mieux répondre aux préoccupations de ses citoyens, tout en renforçant la résilience des communautés face aux défis écologiques. Cela pourrait se traduire par des initiatives visant à protéger et restaurer les écosystèmes, à optimiser la gestion des ressources naturelles et à sensibiliser les populations aux impacts du changement climatique et des activités humaines sur leur environnement.

Par ailleurs, en intégrant la solastalgie dans les débats politiques et sociaux, le Maroc pourrait favoriser une prise de conscience accrue et encourager une action collective pour atténuer les effets négatifs subis sur son patrimoine naturel.

Références

[1] Galway Lindsay P. et alii, « Mapping the Solastalgia Literature: A Scoping Review Study », International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 16, n° 15, juillet 2019. URL: https://www.mdpi.com/1660- 4601/16/15/2662

[2]Albrecht, Glenn. Solastalgia: The Definition and Origins PSYCHOTERRATICA, décembre 2018. https://glennaalbrecht.wordpress.com/2018/12/17/solastalgia-the-definition-and-origins/

[3] Albrecht, Glenn ‘Solastalgia’: a new concept in health and identity. PAN: philosophy activism nature. 2005; 3, 44-59. https://doi.org/10.4225/03/584f410704696

[4] Galway Lindsay P. et alii, « Mapping the Solastalgia Literature: A Scoping Review Study », International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 16, n° 15, juillet 2019. URL: https://www.mdpi.com/1660-4601/16/15/2662

[5] Climate Change 2022, Impacts, Adaptation and Vulnerability, Summary for Policymakers, Technical Summary and Frequently Asked Questions; Report IPCC; 2022 https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/
IPCC_AR6_WGII_SummaryVolume.pdf

[6] https://usbeketrica.com/fr/article/solastalgie-comment-militer-soulage-notre-eco-anxiete

[7] https://www.urbandesignmentalhealth.com/how-urban-design-can-impact-mental-health.html

[8] https://gteccanada.ca/reader/solastalgia-the-rise-of-climate-anxiety-in-young-people/