1. Définition du concept
Le techno-optimisme est une vision du monde selon laquelle le progrès technologique et scientifique constitue la principale force motrice de l’amélioration des conditions de vie humaines. Il repose sur la conviction que les avancées en digitalisation, en intelligence artificielle, en biotechnologie, en énergies renouvelables, … permettront de résoudre les défis majeurs du XXIème siècle, tels que le changement climatique, la pauvreté ou encore les problèmes de santé publique 1.
Cette vision se distingue du techno-solutionnisme, qui suppose que la technologie est la seule réponse aux problèmes humains et du techno-pessimisme, qui met l’accent sur les dangers et les limites des innovations technologiques. Ainsi, le techno-optimisme n’est ni une certitude absolue ni une illusion aveugle, mais une posture qui s’appuie sur une évaluation rationnelle des bénéfices et des risques liés au progrès technologique.
2. Origine et historicité du concept
Le techno-optimisme trouve ses racines dans les idées du siècle des Lumières, notamment, dans le cadre des travaux de Condorcet, qui voyait la science et la raison comme les moteurs du progrès humain (Condorcet, 1795).
Dans l’histoire moderne, l’idée d’un « optimisme scientifique » a été formalisée par Vannevar Bush, ingénieur américain, dans son rapport « Science, the Endless Frontier« 2, publié en 1945. Dans ce rapport, il recommande de promouvoir le progrès scientifique en encourageant la recherche scientifique dans les universités américaines. Ledit rapport avait proposé à l’administration Truman puis à celle de Roosevelt d’investir dans la recherche & développement, ce qui transforma la Silicon Valley en centre d’ingénierie.
En 1977, William Ophuls, politologue américain, dans son ouvrage « Ecology and the politics of scarcity revisited » affirmait que « la croissance technologique nous permettra d’augmenter nos ressources et de garder une longueur d’avance de demandes en croissance exponentielle« 3.
En 1985, James Krier et Clayton Gillette, professeurs émérites de droit public, dans leur article « the uneasy case for techno-optimism« , s’opposent aux techno-optimistes. Selon les auteurs, la technologie n’est qu’un outil dont les effets peuvent être bons ou néfastes 4. Par la suite, le concept a commencé à prendre de l’ampleur avec l’expansion d’internet dans les années 1990.
Au XXIème siècle, le courant techno-optimiste est largement porté par des figures comme Ray Kurzweil (The Singularity Is Near, 2005), qui prédit une explosion exponentielle des capacités technologiques, menant à un avenir où les humains et les machines fusionneraient. Peter Diamandis et Kevin Kelly figurent, également, parmi les défenseurs de cette vision en mettant en avant le rôle des entreprises technologiques dans la création d’un avenir prospère et abondant (Diamandis & Kotler, 2012 ; Kelly, 2016).
En 2013, dans son ouvrage « To Save Everything Click Here! », Evgeny Morozov, chercheur américain, explique comment la technologie est un outil utile au progrès humain. Il rappelle, toutefois, qu’elle n’est pas une solution miracle a l’ensemble des défis planétaires5.
En 2019, Andrew McAfee, économiste du Massachusetts Institute of Technology (MIT), publie « More from less », où il défend l’idée que le capitalisme et la technologie contribueront à résoudre l’enjeu du réchauffement climatique6.
En 2023, Marc Adreessen, investisseur en capital-risque, a rédigé un essai intitulé « The Techno-Optimist Manifesto » où il affirme que « Nous pensons qu’il n’existe aucun problème matériel – qu’il soit créé par la nature ou par la technologie – qui ne puisse être résolu par davantage de technologie »7.
Toutefois, le techno-optimisme fait l’objet de plusieurs critiques, qui en questionnent la validité et les implications 8. L’une des premières objections repose sur l’idée que la notion de progrès n’est pas universellement définie. Ce qui est perçu comme une avancée positive par certains peut être considéré comme une menace ou une détérioration par d’autres, en fonction des valeurs et des priorités adoptées.
Par ailleurs, il est souligné que les bénéfices des innovations technologiques pourraient être limités par l’adaptation humaine : les individus s’habituent rapidement aux améliorations, ce qui pourrait réduire l’impact réel des progrès sur le bien-être global.
Une autre critique porte sur la durabilité des avancées technologiques, qui reposent souvent sur l’exploitation de ressources finies et peuvent engendrer des effets environnementaux ou sociaux négatifs à long terme. De plus, la simple existence de technologies innovantes ne garantit pas un progrès généralisé si elles ne sont pas accompagnées de cadres institutionnels, de régulations et de décisions politiques adaptées.
Enfin, certaines réserves mettent en avant le fait que l’optimisme technologique repose parfois sur des extrapolations incertaines, voire spéculatives, qui ne tiennent pas compte de la complexité des évolutions futures et pourraient, ainsi, relever davantage d’un pari que d’une véritable analyse rationnelle.
3. Pertinence du Techno-optimisme
La technologie a connu un essor fulgurant ces dernières décennies, transformant profondément le quotidien des êtres humains. Elle a rendu les déplacements plus rapides grâce aux infrastructures modernes et aux avancées dans les transports. Plus encore, l’essor d’Internet a révolutionné la communication, la rendant instantanée et mondiale. Cette omniprésence de la technologie a alimenté l’idée selon laquelle elle pourrait résoudre un grand nombre de défis contemporains.
Les progrès technologiques ont, en effet, permis de répondre à plusieurs enjeux majeurs :
- Médecine et biotechnologies : le développement de traitements contre des maladies infectieuses (choléra, typhoïde)9 et la mise au point des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) ont amélioré la santé humaine, la productivité agricole et la lutte contre l’insécurité alimentaire.
- Environnement et énergie : l’essor des énergies renouvelables (solaire, éolienne, géothermique, hydrogène vert) contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
- Gestion des catastrophes : les drones et l’imagerie satellite permettent de surveiller les phénomènes climatiques et d’optimiser les systèmes d’alerte.
Des projets technologiques innovants sont en cours pour répondre aux défis du réchauffement climatique. Par exemple, l’Université d’Etat de l’Arizona développe des arbres artificiels capables d’absorber le dioxyde de carbone mille fois plus efficacement que les arbres naturels10. De même, des chercheurs de l’Université du Sichuan en Chine ont conçu un poisson robot destiné à capter les microplastiques dans les océans11.
Si ces avancées semblent prometteuses, le techno-optimisme, qui prône la technologie comme solution principale aux enjeux globaux, présente néanmoins des limites.
D’abord, il risque d’occulter d’autres approches plus systémiques. A titre illustratif, pour lutter contre la faim dans le monde, la priorité devrait être accordée à la transformation des infrastructures agricoles et des chaînes de valeur plutôt qu’au simple développement de l’agriculture urbaine. De même, pour lutter contre le réchauffement climatique, l’accent devrait être mis sur la transition vers des modes de production durables plutôt que de parier uniquement sur des technologies comme la fusion nucléaire.
Une confiance excessive dans la technologie peut conduire à un techno-solutionnisme aveugle, minimisant les dimensions sociales et politiques des problèmes contemporains (Morozov, 2013).
Par ailleurs, la dépendance croissante aux technologies numériques soulève des questions éthiques sur la surveillance de masse, l’accroissement des inégalités technologiques et le chômage technologique (Zuboff, 2019). Ces enjeux nécessitent une régulation et une gouvernance appropriées.
En somme, bien que la technologie constitue un levier puissant de transformation, elle ne saurait être une solution unique à l’ensemble des défis mondiaux. Son développement doit être complété par des politiques publiques cohérentes, une éducation de qualité et une gestion éthique afin d’assurer un progrès réellement bénéfique pour l’ensemble de la société.
4. La pertinence du concept pour le Maroc
La question du développement technologique au Maroc s’inscrit dans une démarche stratégique visant à positionner le Royaume comme un pôle technologique régional de premier plan. Au cours des deux dernières décennies, le pays a mis en place une série de stratégies digitales12, faisant ainsi du Royaume l’un des principaux acteurs africains en matière de technologies de l’Information et de la Communication.
Le Royaume s’est, également, engagé, sous le Leadership de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, dans un processus de diversification des activités industrielles, en développant des métiers à intensité technologique élevée. Par exemple, le Maroc a mis en place une filière aéronautique compétitive, avec un taux d’intégration dépassant les 40%, ce qui lui a permis de devenir une destination de choix pour les équipementiers aéronautiques internationaux.
Sur un autre domaine, l’automobile est devenue, depuis 2018, le premier produit d’exportation du Maroc en valeur. Le Royaume se prépare, aujourd’hui, à la voiture électrique, avec la fabrication des batteries adaptées à les véhicules du futur.
Pour consolider ces acquis, il devient opportun de doter le Maroc d’une vision de long terme, à décliner en politiques publiques promouvant le développement des technologies avec une étroite coordination intersectorielle et une évaluation systématique de leurs impacts.
Dans ce contexte, l’adoption par le Royaume d’une approche fondée sur le techno-optimisme pourrait constituer un levier stratégique pour relever les défis économiques, sociétaux et environnementaux, à condition qu’elle soit accompagnée de mesures assurant un développement technologique inclusif et équilibré. Le Maroc pourrait ainsi tirer parti du techno-optimisme pour accélérer l’essor de secteurs essentiels pour la vie, entre autres, l’eau, l’énergie, …
Dans un contexte de sécheresse structurelle, le Maroc a opté pour une politique de dessalement de l’eau de mer pour faire face à la rareté croissante des ressources hydriques et pour répondre à une demande interne de plus en plus élevée. Selon le Ministère de l’Equipement et de l’Eau, la moitié de l’approvisionnement en eau potable en 2030 sera assurée grâce au dessalement de l’eau de mer.
Dans le secteur énergétique, le Royaume a déjà adopté, depuis 2009, une stratégie ambitieuse de développement des énergies renouvelables. Une Offre Maroc est disponible pour la production de l’hydrogène vert avec comme ambition de capter 4% de la demande mondiale d’ici 203013.
Références
- Diamandis, P. H., & Kotler, S. (2012). Abundance: The future is better than you think. Simon and Schuster.
- Bush Vannevar Science the Endless Frontier [En ligne] // A Report to the President by Vannevar Bush, Director of. - 07 1945. - 31 12 2024. - https://webusers.imj-prg.fr/~david.aubin/cours/Textes/Bush_00.pdf .
- Ophuls, William. Ecology and the Politics of Scarcity [Livre] - 1977.
- James E. Krier Clayton P. Gilette The Un-Easy Case for Technological Optimism [Revue]. - [s.l.] : University of Michigan Law School Scholarship Repository, 1985.
- Morozov Evgeny To Save Everything Click Here: The Folly of Technological Solutionism by Evgeny Morozov. [En ligne]. - 05 03 2013. - 12 09 2024.
- McAfee Andrew More From Less [Livre]. - [s.l.] : Sribner, 2019
- Andreessen Marc The Techno-Optimist Manifesto [En ligne]. - 16 10 2023. - 09 12 2024. - https://a16z.com/the-techno-optimist-manifesto
- Danaher, J. Techno-optimism: an Analysis, an Evaluation and a Modest Defence. Philos. Technol. 35, 54 (2022). https://doi.org/10.1007/s13347-022-00550-2
- Anooshay Khan Julian Osaku, Ebru Aras et Urartu Ozgur Safak Seker Combating Infectious Diseases with Synthetic Biology [En ligne]. - 18 02 2022. - 09 12 2024. -
- The American Society of Mechanical Engineers Building the Ultimate Carbon Capture Tree [En ligne]. - 17 05 2019. - 03 12 2024. - https://www.asme.org/topics-resources/content/building-ultimate-carbon-capture-tree.
- Reuters Chinese scientists develop robot fish that gobble up microplastics [En ligne]. - 12 07 2022. - https://www.reuters.com/lifestyle/science/chinese-scientists-develop-robot-fish-that-gobble-up-microplastics-2022-07-12
- Telles que "e-Maroc 2010", "Maroc Numérique 2013", "Maroc Digital 2020" et "Maroc Digital 2030"
- Masen Offre Maroc Hydrogène Vert [Online]. - 12 04, 2024. - https://www.masen.ma/fr/hydrogene-vert-maroc.